Ils chevauchaient depuis de nombreuses heures dans la neige et la boue du redoux récent, et les plus jeunes des cavaliers de la petite troupe ne purent s'empêcher de pousser des soupirs de soulagement en apprenant du cavalier de tête qu'on approchait du but. Jean Zwyrowsky, pourtant, appréciait ces randonnées dans les hautes vallées enneigées de son Dauphiné, et avait deux ou trois fois fait mine de débusquer, au coin d'un bois, un bouquetin descendu des cimes en quête d'un pré précocement dégelé. Son fils le suivait, ainsi que son vieux sergent d'armes. Le premier semblait partager les goûts de son père, et si ce n'était pas le cas, il savait ne rien en montrer. Jean n'avait pu s'empêcher de remarquer toutefois quelques intervalles où le regard de Thomas s'était perdu. Rêves d'avenir, d'amour? Il n'avait pas voulu le questionner. L'invitation à venir rencontrer la vicomtesse de Clermont, si elle recoupait pour lui notamment un enjeu politique, pouvait intéresser le penchant de son fils pour la chose héraldique aussi bien. Dans les moments de silence, il repensait à ces autres jeunes nobles qu'il avait connu attirés par la connaissance des symboles, des métaux et des émaux. Aliénor d'Avencourt, François de Macquart; il souhaitait, sans en être absolument certain, que l'orgueil nobiliaire ne soit pas, comme eux, la raison principale de ce goût. Heureusement, Thomas ambitionnait aussi de faire ses armes dans l'ost; là où son rang ne lui serait d'aucune aide. La rigueur des armes, il l'espérait, contrebalancerait l'orgueil de la naissance.
Le domaine de la famille Gaudemar inspirait plus de plaisance que de puissance. Il avait entendu dire que de tels domaines se construisaient outremont, abandonnant partiellement créneaux et mâchicoulis pour des tours closes et des pièces plus agréables. A la porte, l'un de ses cavaliers annonça le vicomte de Crots et son fils ainé.